Le misteri de Jesus portant sa croix, pavois richement fleuri, porté par les caparutxes vêtus de la caparutxa
Pour Pâques nous avons assisté à Perpignan à la traditionnelle et immuable procession de la Sanch du vendredi Saint existant depuis 1416.
Parti de l'église Saint Jacques avec des stations devant les reposoirs, ce cortège de 1km a parcouru le quartier historique de Perpignan pendant 3h au son des "goigs" et des tambours précédés du tintement de la cloche du regidor pour revenir à son point initial.
600 pénitents des différentes paroisses catalanes ont défilé, certains vêtus de la caparutxa portant les très beaux et lourds misteris richement fleuris représentant des scènes de la Passion du Christ.
Au delà de l'aspect religieux et spirituel cette tradition est le symbole de la culture et de l'identité catalane. Elle offre un spectacle émouvant et saisissant.
Origine et évolution de cette tradition religieuse catalane
La confrérie de la Sanch,(sang de Jésus-Christ ) fut fondée en 1416 suite aux prédications du moine dominicain saint Vincent Ferrier, en l'église Saint Jacques des Jardins de Perpignan par les membres de 2 importantes confréries: des jardiniers (hortolans) qui subsistent encore et des tisserands (teixidors ).
Elle a joué un rôle important dans la vie de la cité tant sur le plan social que sur le plan religieux.
Au 15è S. et 16è S. les confréries de la Sanch se propagèrent à de nombreux villages du Roussillon.
Mais lors de ces processions les pratiques d’une démonstration de foi trop véhémente des flagellants incitèrent l’autorité religieuse à les limiter. Puis jugées trop baroques et espagnoles au goût des autorités françaises elles furent interdites.
Mais malgré cela cette tradition fut maintenue clandestinement pendant plus d’un siècle intra muros de l’église Saint-Jacques
En 1950 sous l'impulsion de Joseph Deloncle conservateur du Castillet, la procession reprit son itinéraire dans le centre historique de Perpignan le jeudi saint et en 1958 le vendredi-Saint
Missions de la confrérie de la Sanch
--A l'origine les processions étaient organisées pour conjurer les pestes, guerres et autres malheurs qui s'abattaient sur l'Europe à l'époque.
Mais les missions majeurs de la confrérie étaient de:
1) Soutenir les prisonniers et leurs familles, les condamnés à mort, qui comme jésus, vivaient leurs derniers moments dans l’angoisse et la solitude. Les confrères les accompagnaient, la veille de l'exécution et jusqu'à l’échafaud au son du chant lugubre du «miserere des pendus». Confrères et condamné étaient tous vêtus d'une robe longue et d'une cagoule pointue (caparutxa) pour cacher l’identité du coupable parmi eux, afin qu'il ne soit pas lynché par la foule. Ils assuraient également son enterrement chrétien
2) perfectionner, aviver la Foi des confrères et consoeurs
3) commémorer la Passion de Jésus, par la traditionnelle procession du Jeudi-saint. Cortèges rappelant les cohortes de pénitents et flagellants qui suivaient Saint Vincent Ferrier*
--Aujourd'hui les membres de la confrérie accompagnent les familles en deuil, visitent les prisonniers, participent à la vie d'associations caritatives et paroissiales et continuent d'organiser la procession du vendredi Sain
Misteris dans l'église St Jacques de Perpignan
Déroulement de la procession
Entourée d'une haie de personnes ,certains présents pour le folklore d'autres recueillis et silencieux, aux sons des chants d'une funèbre beauté les" goigs "et des allocutions des prêtres diffusées par des hauts parleurs ,la procession a défilé avec:
1)En tête le Regidor en caparutxa* rouge qui imprime de sa cloche, le rythme de la procession.
2) Immédiatement suivi des tambours voilés de crêpe noir, qui saisissent par leurs roulements sourds
3) Puis la « Creu dels Improperis », la croix des injures* représentant les instruments de la passion :
le calice et le pain de la Cène. La lanterne des gardes venus arrêter Jésus. L’épée de saint Pierre avec l’oreille coupée au légionnaire Malchus, le serviteur du grand prêtre. Le coq qui chante le reniement de saint Pierre à l’aube. La main du grand prêtre qui gifla Jésus. Le vase d’eau avec lequel Ponce Pilate se lava les mains. La tunique et la couronne d’épines utilisées pour habiller Jésus en « roi ». Les dés utilisés par les soldats pour décider qui gagnerait ladite tunique. Le marteau pour les clous. La pancarte « INRI ». La lance utilisée par le centurion Longin qui perça le flanc de Jésus. Une autre lance, avec une éponge imbibée de vinaigre pour assouvir la soif. Les tenailles et l’échelle pour la descente de la croix. La corde utilisée par Judas pour se pendre. Et une trompette, la trompette de la résurrection
4)Puis viennent les bannières précédant chaque confrèrie des paroisses catalanes qui présentent leurs misteris portés par les caparutxes suivis de nombreux pélerins de tout âge
Les caparutxes ( pénitents ) qui défilent en silence, très solennels, dans un profond recueillement sont soit des:
--hommes s’isolant du monde derrière le caparutxa ( longue capuche pointant vers le ciel et grande tunique noire [deuil] ou rouge [sang] ceinte d'une cordelière de couleur différente suivant la paroisse ou le village d'origine du pénitent (le rouge pour St-Jacques, le blanc pour La Réal, le bleu et rouge pour St Estève et St Laurent de la Salanque...) portant le scapulaire ce petits carrés rouges bénis, placés respectivement sur la poitrine et sur le dos et symbolisant l'appartenance à la confrérie de la Sanch
Les caparutxes vêtus de tuniques rouges(sang) ou noires(dueil) ceintent de ceinture de couleur différent suivant la confrèrie
--ou des femmes toutes de noir vêtues, la tête recouverte d'une mantille
Si la plupart des pénitents portent des chaussures noires, certains font la procession pieds-nus comme le faisaient autrefois les hommes par mortification, symbolisant le calvaire du Christ dans son chemin vers la crucifixion.
Pénitents pour certains pieds nus portant le misteri de "Jésus gardé par deux soldats pointant leurs lances sur lui"
Pèlerins vêtus de noir et suivant le cortège dans un recueillement exemplaire et où l'on peut voir également des enfants
b) Les Misteris ou mystères
Représentations grandeur nature des différentes scènes de la Passion du Seigneur, dont les personnages en cire ou en bois sont placés sur une sorte de pavois orné de fleurs;
Ils constituent une expression visible de la foi, une sorte de catéchisme en marche.
Le Misteri de l'hort : portés par les "jardiniers" de Saint-Jacques, il fut réalisé par la confrérie des jardiniers au XVè siècle au début de la Sanch et régulièrement restauré sur le même modèle.
Le Misteri de l'hort: "la nuit au jardin des oliviers", Jésus dans son agonie, à côté de ses apôtres endormis, reçoit la visite d'un ange qui vient le réconforter
La colonne où Jésus est attaché
Au coeur de cette procession le misteri le plus imposant de cette marche spiriuelle, pèsant 400 kilos et nécessitant 10 caparutxes pour le porter est le
le mistéri du Christ portant sa Croix qui a été réalisée par un forgeron de Saint-Laurent-de-la-Salanque
Porter tous ces misteris exige donc un important effort physique qui montre le côté "Passion" qu' endurent les pénitents.
Fort heureusement des moments de pause ordonnés par le chef de « misteri » en frappant énergiquement le sol avec la « forqueta » (petite fourche) permettent la dépose des misteris sur les « forquetas » et le changement des porteurs.
La Pieta où Marie est assise, recevant dans ses bras son Fils porté par les pénitents chancelants sous les fardeaux des péchés du monde, les épaules meurtries par les lourds « misteris
le mistéri de l'Ecce Homo présentation à la foule de Jésus battu et couronné d’épines, le manteau rouge jeté sur ses épaules . Les porteurs de ce misteri sont habillés de vermeil pour rappeler le sang du Christ
Le mistéri du Dévot Christ sur son lit d'apparat devant la Cathédrale attendant l'hommage de la procession sur le parvis de la Cathédrale St Jean Baptiste
le Dévot Christ sur son lit d’apparat, devant la cathédrale est sans conteste le joyau de la procession.
Les groupes statuaires des Vierges des Douleurs apparurent dans ces cortèges à partir du 18è ce sont les misteris de:
la Mater dolorosa: Marie debout au pied de la croix, assistant impuissante, mais résignée, au sacrifice de son Fils. Le visage poignant, vêtue d'une robe noire et sa poitrine ornée d'un cœur transpercé de sept glaives représentant les 7 douleurs de Marie que chantent les "goigs"
La Soledat Jésus placé dans le saint sépulcre. Marie tient dans ses mains le suaire
Les mistéris du Christ cloué sur la Croix
Le christ gisant terminant le long cortège de cette fresque colorée, au surprenant réalisme.
Si au premier abord, ce spectacle impressionnant ressemble plus à une étrange fête folklorique qu'à une cérémonie religieuse, très vite, goigs, pénitents priant, défilant pieds nus, portant les beaux et lourds miseris crées une ambiance solennelle et de recueillement. Que l'on soit agnostique, simple curieux on ne peut rester insensible à l'émotion qui se dégage de ce saisissant cortège
Qui était Saint Vincent Ferrier (1350-1419)
Puissant prédicateur Dominicain de par sa foi et ses brillantes études( philosophie, théologie..) il devint un personnage important à une époque de grands troubles:
-politico-économiques (guerre de 100 ans, centralisation monarchique, crise monétaire, dissolution de l'Ordre des Templiers, expulsion des juifs, nouvelles taxes qui touchant aussi bien peuple, bourgeois, nobles, église, lombards, Templiers, Juifs vont entrainer de vastes révoltes.....)
-religieux avec le grand schisme d'Occident où 3 papes étaient concurrents 1378-1417. Cette crise divise pendant quarante ans la chrétienté catholique en deux obédiences. et favorise le retour des pratiques de paganismes
Dans toutes les régions il prêchait la Passion du Christ et la nécessité de la pénitence, et sur sollicitation donnait son avis pour différents problèmes ( sur des procès, des règlements d'ordre public) et malgré une interdiction de l'église, utilisait ses pouvoirs de thaumaturge. Mais par son charisme il influencera aussi les puissants pour la paix en Europe, pour ramener le peuple vers une foi.
En 1415, il fut invité par Ferdinand d'Aragon, en son palais de Majorque à Perpignan, où s'est déroulé les dernières intrigues mettant fin au Grand Schisme d'Occident.
Dans ses pérégrinations à travers le monde latin il était suivi par des milliers de fidèles convertis par sa parole. Revêtus d’un vêtement de couleur sombre signe de pénitence et d'humilité et se flagellant pour la rémission de leurs péchés ,les pénitents tout en chantant cantiques ou Miserere formaient d’immenses processions. L'histoire de ces pénitents est stupéfiante car ce n'était pas un cénacle composé de quelques privilégiés soigneusement mis à part, c'étaient 10.000 à 20.000 personnes que saint V. Ferrier conduisait